A LA DECOUVERTE DU BOUDDHISME

L’enseignement du Bouddha : LA VOIE DU MILIEU

Le bouddhisme est, par définition traditionnelle, la doctrine enseignée par le Bouddha Çakyamuni.
Çakyamuni, à travers les anciens textes, nous apparaît comme un homme. Il ne s’est jamais fait passer pour divin, ni pour l’envoyé d’un Dieu. Il n’est, pour ses disciples – qui, à leur tour, peuvent devenir Bouddha – que le Maître éclairé qui les guide dans la bonne Voie, le Sage qui, par la force de la MEDITATION, a acquis la Connaissance parfaite.
Il y a, croit-on, une multitude de Bouddhas qui sont des êtres vivants, ayant réalisé l’Illumination. Le mot “Bouddha” signifie “éveillé”, “qui a pris conscience de l’Esprit. Certains Bouddhas sont historiques, d’autres, plus nombreux, appartiennent aux mythes et aux légendes.
Çakyamuni est un Bouddha historique, un prince du clan des Çakya, de l’Etat de Kalipavastu, au nord de l’Inde.. Selon la chronologie la plus fréquemment adoptée, sa naissance et sa mort se situeraient respectivement en 560 et en 480 avant notre ère. Son nom personnel est Siddhartha, on l’appelle Gautama.
Lorsqu’il découvre, par lui-même, que la vie humaine est pleine de souffrances, il décide de quitter son palais et sa famille, à la recherche d’une Voie qui permette de délivrer l’homme de tous ses malheurs et de vaincre l’assujettissement à la mort. Il se fait moine mendiant, s’enfonce dans la forêt, en quête de maîtres qui lui enseignent la Vérité. Mais trouvant leurs enseignements insuffisants, il se livre, en compagnie de cinq disciples, à des mortifications telles qu’elles le conduisent au bord de la mort, plutôt qu’à la délivrance. Il met alors fin à son régime ascétique, s’assied au pied d’un banian, entre en méditation et accède au “Grand Eveil”. C’est ainsi qu’il découvre la Cause et la Méthode, et devient un Bouddha. C’est au Parc des Gazelles, à Bénarès, qu’il fait son premier Grand Sermon, où il évoque la “Roue de la Loi”. Puis il va pendant quarante-trois ans prêcher la doctrine, menant une vie errante.

LES RACINES BRAHMANIQUES DU BOUDDHISME

A l’origine, le Bouddhisme peut être considéré comme un mouvement hétérodoxe vis-à-vis du Brahmanisme primitif existant depuis un millénaire en Inde. En fait, les positions que prend le Bouddha sont en partie amorcées par l’évolution propre de la pensée brahmanique, en partie provoquée par réaction contre cette pensée.
En effet, le Bouddha a derrière lui toute la tradition védique, et, à l’époque où il se met à prêcher, il n’est pas sans connaître les idées nées de la méditation traditionnelle.

L’inconsistance de la condition humaine

Tout d’abord, comme les brahmanes, il reprend le thème de l’inconsistance de la condition humaine, de la misère de l’existence dont la cause est le désir. Mais tandis que dans les religions brahmaniques, on se sert de l’acte sacerdotal, du rite accompli part le prêtre, des sacrifices offerts aux dieux pour solliciter la prospérité, une longue vie dans l’existence présente, ou une aide à l’âme après la mort, le Bouddhisme primitif, au contraire, n’attend rien des divinités ; l’homme est délivré des souffrances non par la grâce des dieux, mais par un effort de lui-même dans la méditation. Le Bouddha est contre les rites, les sacrifices et les offrandes aux dieux, considérés comme des spéculations.

La foi dans la transmigration

En second lieu le Brahmanisme et le Bouddhisme ont en commun la foi en la transmigration. La notion de Samsära brahmanique ne veut pas dire exactement “naissances et morts sans fin”, mais “couler avec”, “traverser une série d’états”, et fait en quelques sorte les premiers pas vers la notion bouddhique de transmigration. Comme nous venons de le voir, dans la religion brahmanique, les rites, les sacrifices, l’acte sacerdotal peuvent modifier des conditions de la transmigration, tandis que pour les bouddhistes, c’est plutôt soi-même qui est responsable de sa destinée future dans sa vie future, par la relation de cause à effet. Celui qui accomplit en cette vie un ensemble d’actions méritoires renaîtra dans la vie prochaine sous une forme et dans des conditions favorables et heureuses. Mais celui qui se rend coupable d’actions criminelles en paiera le prix dans son existence future par le malheur et la souffrance. Ce que chacun de nous subit de sa conduite passée (karma ou kamma en pâli).

A cette différence concernant la conception de l’acte s’ajoute une autre différence, essentielle, dans la représentation du “moi”. Alors que dans la religion brahmanique le “moi” existe sous le nom d’âtman, ou “soi absolu”, et a pour destination ultime la communion avec l’essence du TOUT ou brahaman, dans une sorte d’extase mystique où l’âme individuelle se perd et se divise à la fois – dans la religion bouddhique, au contraire, la réalité même de ce “moi” est niée ; le terme d’ânâtma ou l'”absence de soi-même” exprime que l’individualités n’a pas d’existence en soi. L’âme est la même, mais en perpétuel devenir et emportée dans un flux de transmigrations incessantes. Les individualités dans lesquelles elle s’incarne temporairement n’existent que comme des agrégats de phénomènes psychiques et non comme des êtres personnels homogènes et autonomes. Alors que tout l’effort du brahman consiste à atteindre son vrai “moi” afin de s’évader pour toujours de ce flux universel ou samsära, et d’en atteindre l’extinction ou nirvâna.
D’autre part, d’après la religion brahmanique, l’erreur de tout homme est de se croire homme, alors qu’il est l’absolu, qu’il est divin. Solution jugée comme immorale par les Bouddhistes primitifs ; car le fripon comme le saint est âtman, ou plutôt, il reste à expliquer pourquoi si, au fond de nous-même, nous sommes l’absolu, il existe du relatif, du mal et de l’illusion.
Ainsi, après avoir démysthifié les dieux des brahmanes, le Bouddhisme a ramené l’homme à son vrai état d’impermanence, de faiblesse, et d'”absence de soi-même”, tout en lui enseignant le Dharma, règle de vie conforme à la morale, et lui indiquant le chemin pour arriver à la Délivrance.

BOUDDHISME, YOGING ET SOPHISTES

Au début, le rapide succès des bouddhistes primitifs s’explique dans une certaine mesure par l’affinité des mœurs et opinions qu’ils professent avec deux groupes très agissants en marge du Brahmame dès les premiers temps historiques: les yogings (adeptes du Yoga) et les sophistes.
Le yoga primitif est une ascèse visant à maîtriser la vie organique et à la doter de pouvoirs surnaturels. Sa disciplines consiste à régir le corps par une régularisation des mouvements respiratoires, pratique dont l’efficacité se trouve, dans une certaine mesure, confirmé par la psychophysiologie moderne. Il fournit à l’Inde entière le prototype d’une volonté tendant à la libération de l’esprit.
Quant aux sophistes, ils excellent à plaider avec le même talent le pour et le contre. Ils sont des fondeurs à l’égard de la religion traditionnelle et ne croient pas davantage au bien-fondé des règles morales.
Les bouddhistes sont à la fois yogins et sophistes en ce qu’ils combinent ascèse et dialectique. Mais contre les yogins, ils soutiennent que la maîtrise absolue de soi, loin d’être une FIN, se réduit à un MOYEN. Et aux sophistes, dont ils adoptent l’art dialectique, ils opposent le Dharma, règle de vie valable pour l’humanité. Mais ce Dharma diffère de celui des castes brahmaniques en ce qu’il ne consacre pas de distinctions irréductibles entre les hommes, en ce qu’au lieu de viser à régir la vie, il tend à la Délivrance.

LES QUATRE NOBLES VERITES

C’est au Parc des Gazelles, à Bénarès que le Bouddha a présenté pour la première fois sa doctrine sur la Délivrance dans son Grand Sermon. La pierre angulaire de cette doctrine consiste en quatre NOBLES VERITES qui forment la Loi :

1. La souffrance.

Tout ce qui existe est assujetti à la souffrance ou dukkha, dont le concept peut être envisagé de trois points de vue : la souffrance proprement dite, sa souffrance en tant que changement : matière, sensations, perceptions, formations mentales, et conscience ou connaissance, qui sont les cinq agrégats formant ce que nous appelons un “être”. Lorsque les cinq agrégats physiques et mentaux travaillent en interdépendance dans la combinaison d’une machine psycho-mentale, on éprouve le sentiment du “moi”. Mais c’est seulement une impression trompeuse. D’après Constant Lounbery, ancien président de l’Association des Amis du Bouddha à Paris, “les bouddhistes ont souvent affirmé que la personnalité, le moi n’existe pas, ce qui peut paraître for absurde. Par le terme anâtma (ou absence de soi), nous comprenons le phénomène appelé l’existence, et l’impermanence que nous appelons “moi”. Comme ils changent perpétuellement (dans le circuit fatal de la transmigration), le corps et la pensée que “je” considère comme “moi” changent aussi…”.
“Le Bousshisme, dit aussi le Bhikkhu Narada Thero, admet un flux de vie individuelle, mais non une identité personnelle, c’est parce que tous les états physiologiques et mentaux sont dans un perpétuel changement.
“En langage scientifique, on dirait que cette stabilité apparente est seulement un équilibre momentané entre la formation et la destruction, et qui doit tout le temps se rétablir”.

2 – La cause de la souffrance

Nous venons de voir dans la première Noble Vérité que la vie est synonyme de souffrance. La seconde Noble Vérité est l’origine ou la cause de la souffrance; C’est le désir, la “soif”, soif de plaisirs sexuels, soif d’existence, de continuité et même désir d’annihilation. Cette avidité, cette soif qui a pour centre la fausse idée d’un “moi”, est une force terrible qui entraîne toute l’existence.

3 – La cessation de la souffrance

La troisième Noble Vérité est celle de la cessation de la souffrance. Il faut supprimer cette soif qui est la racine même du Dukkha. Cette cessation est généralement connue sous le nom de NIRVÂNA, qui est aussi dénommé Tanhakkhaya, littéralement “l’extinction du désir”. Le Bouddha dit “O moines, le nirvâna qui est la Réalité, est l’ultime Noble Vérité”. Ici donc, Vérité signifie nirvâna.
On peut se demander en quoi consiste le nirvana. Pour les bouddhistes, surtout ceux du Mahayana, le langage est trop pauvre pour exprimer la nature véritable de la Vérité absolue, de la vérité ultime. On ne peut comprendre qu’après une juste méditation. Selon le bouddhisme, il y a deux façons de comprendre.
“compréhension par l’accumulation du savoir, en saisissant intellectuellement certaines données reçues – ce qu’on appelle “connaître selon” ;
“compréhension vraiment profonde ou “pénétration”, qui ne devient possible que lorsque l’esprit est affranchi de toute impureté et pleinement développé par la Méditation.
Quant à nous, nous ne pouvons pas nous passer des mots. Mais si l’on tente d’expliquer le nirvâna à l’aide des termes de nos langages, on risque de saisir une idée qui peut être tout à fait l’opposé de la réalité. Si l’on a recours à des expressions négatives, le nirvâna est, comme le Bouddha l’a dit, “un état non-né, non- devenu, non-conditionné, non-composé, “. Mais cette définition pourrait amener à une conception erronée en nous faisant croire qu’il s’agit d’une annihilation complète ; or, l’emploi d’une expression négative n’implique en aucune manière que cet état, nirvâna, soit par lui-même négatif.
Si l’on a recours à des expressions positives, le mot “immortalité” (amata) est aussi employé comme synonyme de nirvâna. Et l’un des synonymes courants de nirvâna n’est-il pas “libération” (multi) ?
Quoi qu’il en soit, il est difficile de prendre part aux discussion sur la définition du nirvâna, la Vérité ou Réalité éternelle, un des Mystères de la religion bouddhique.

4 – La méthode pour la cessation de la souffrance

Quant à la quatrième Noble Vérité, elle est celle du chemin qui conduit à la réalisation du nirvâna, autrement dit, la Méthode qui conduit à la cessation du dukkha. Elle est connue aussi sous le nom de “VOIE DU MILIEU”, parce qu’elle évite deux extrêmes ; l’un est la poursuite du bonheur dans l’attachement aux plaisirs des sens, qui est bas, commun et vain comme la voie ordinaire du monde ; l’autre est celui des mortifications, des différentes formes d’ascétisme qui dont douloureuses, mais aussi vaine et sans profit. On désigne souvent le “Voie du Milieu” par le nom “Octuple Chemin” parce qu’il est composé de huit facteurs qui sont : 1 compréhension juste ; 2 pensée juste ; 3 parole juste ; 4 action juste ; 5 moyens d’existence justes ; 6 efforts justes ; 7 attention juste ; 8 concentration juste.
Ces huit chemins sont regroupés sous trois principes qui gouvernent l’entraînement et la discipline bouddhique :
la moralité (sita) basée sur l’amour et la compassion, englobant trois facteurs de l’Octuple Noble Chemin : parole juste, action juste, moyens d’existence justes.
la discipline mentale (samâdhi) qui comprend trois autres facteurs : efforts justes, attention juste ou vigilance, et concentration juste. La pratique de l’attention à la respiration est un des principaux exercices de discipline mentale.
la sagesse (pânna) qui comprend deux acteurs : pensée juste et compréhension juste. On entend par pensée juste les pensées de renonciation, le détachement dans une complète abnégation de soi, pensée d’amour et de compassion pour tous les êtres. Et par compréhension juste, on entend celle des choses telles qu’elles sont c’est-à-dire celle des quater Nobles Vérités.

Un système complet pour la réalisation de soi

En somme, ce bref résumé des idées principales du Bouddhisme primitif nous permet de comprendre que celui-ci n’est pas un système complet en vue de la réalisation et de la libération par soi-même, par son propre développement moral, spirituel et intellectuel.
Mais nous verrons plus que dans certaines sectes de Mahayana, comme celle de l’Amitabha (adorant le Bouddha Amitabha), on a cherché une voie du salut : puisque les hommes sont faibles, voire incapables d’acquérir par eux-mêmes les mérites suffisants pour arriver à la Délivrance, pourquoi n’accepteraient-ils pas le secours offert par le Bouddha Amida ? Cette secte conseille à ses fidèles d’implorer en toute sincérité la pitié d’Amida, ce qui est à la portée de tous. Il suffit de répéter le Namo Omitofo, et quelle que soit la gravité de ses fautes, le pécheur est sûr d’être entendu. Ainsi, dans l’Amidisme, le salut par la grâce se substitue au salut par les œuvres comme dans le Bouddhisme primitif.

ELEMENT DE LA FOI BOUDDHIQUE

La foi bouddhique consiste à reconnaître l’éminence valeur de trois “joyaux” ou trois “refuges” :

  • le Bouddha,
  • son Dharma, ou sa Loi,
  • le Sangha, ou la Communauté.


La Communauté bouddhique comprend laïcs et religieux réguliers. Ces derniers doivent s’abstenir de toute relation sexuelle et ne rien posséder, sauf leurs guenilles jaunâtres, leur ceinture, leur bol à riz, un rasoir, une aiguille et un tamis pour éviter que les bestioles ne puissent être avalées par le moine lorsqu’il boit de l’eau. Leurs vœux ne sont pas à vie, car il leur possible de quitter la Communauté. Dès l’époque du Bouddha, des femmes ont été admises dans la vie religieuse en qualité de nonnes avec un corpus de prescriptions symétrique à celui des hommes.
Les laïcs doivent respecter ces cinq commandements :

  • ne pas tuer un être vivant
  • ne pas soustraire un objet appartenant à autrui,
  • ne pas se donner au plaisir impudique,
  • ne pas mentir,
  • ne pas boire de liqueur enivrante.


Les religieux, en dehors de ces cinq commandements, on à observer encore deux autres règles :

  • ne pas se parfumer ou se parer avec des fleurs,
  • ne pas s’asseoir plus haut que les autres.


C’est sous le règne du roi Açoka, en 245 avant notre ère, que les textes canoniques furent définitivement établis.
Le canon bouddhique se compose de trois grandes sections appelées Tripitaka ou “Triple Corbeille”:

Corbeille du Vinaya ou de la discipline,
Corbeille des Sutras ou des récits, dont les Jatâkas ou Vies antérieures du bouddha,
Corbeille de l’Abdidharma ou de l’essence de la loi, c’est-à-dire de la métaphysique.

L’EXTENSION DU MAHAYANA

Le premier essor de la secte bouddhique se produit en Inde au Magadha, centre d’une région proprement brahmanique, et foyer de littérature sensible. L’étape Mâthura marque donc l’adaptation du Bouddhisme à la civilisation intellectuelle des brahmanes, et donnera naissance à ce qu’on appelle le Bouddhisme du Nord, le Mahayana de canon sanskrit.
Souvent on oppose à ce courant celui de canon pâli dont le siège est à Ceylan (Sri Lanka) appelé Bouddhisme du Sud, que les tenants du Mahayana dénomment péjorativement Hinayana, littéralement “moyen intérieur de progression”. Actuellement proscrite, cette appellation a été remplacée par Théravada ou “Doctrine des Anciens”.
Ces deux modalités de réflexion bouddhique réagiront l’une sur l’autre jusqu’à ce que le Petit Véhicule ou Théravada se localise surtout à Ceylan et dans les pays du Sud-Est asiatique (Birmanie, Thaïlande, Laos, Cambodge, etc.) ; tandis que le Grand Véhicule ou Mahayana conquiert l’Asie centrale et l’Extrême Orient (Chine, Japon, Vietnam, etc.).

Un souci de salut universel

Ce n’est pas par hasard que le nord-ouest de l’Inde prend une part prépondérante dans l’avènement du Mahayana. De par sa situation, cette région est ouverte aux influences grecques, sémitiques, iraniennes, peut-être chinoises, sans compter celles du brahmanisme, ancienne religion du pays. Ces influences tendent à s’insinuer dans le Bouddhisme du Grand Véhicule qui accepte le culte de certaines divinités, notamment l’Amitabha dont nous venons de parler. Le Mahayana cherche à propager la foi du Bouddha dans l’élite brahmanique en précisant le Dharma ou la Loi moins par des exemples directs ou par l’enseignement du Bouddha, que par une réflexion abstraite sur les principes fondamentaux. L’emphase morale des âges primitifs passe au second plan et la métaphysique au premier.
La délivrance personnelle ne paraît plus être un idéal suffisant ; dans son perpétuel effort contre l’égoïsme, le Grand Véhicule fait un nouveau pas en avant: le salut individuel n’a de valeur absolue que s’il contribue au salut universel.

Dialectique et concentration

Deux procédés prédominant dans le Mahayana : une certaine dialectique et un type de concentration apparenté au Yoga. La nécessité de convaincre, tant pour propager la loi que pour réfuter la tradition védique, imposant aux premiers croyants une certaine dextérité au niveau du raisonnement. De la notion d’impermanence, de relativité, ils arrivent à ce thème sempiternel de l’universelle vacuité: une notion n’est pas une notion, un signe n’est pas un signe, toutes les idées s’équivalent dans une complète insignifiance et tout est vide, sans caractéristique, indifférent.
Ce thème de la vacuité est propre au Grand Véhicule qui dit : ni oui, ni non, à l’opposé du Petit Véhicule qui se borne à renvoyer dos à dos le oui et le non, et conçoit un réalisme des phénomènes.

L’autre voie dans laquelle s’oriente le Mahayana reprend la démarche du Yoga : la CONCENTRATION spirituelle vise non pas à l’extension du contraire, mais à la signification de l’esprit ; il y a effort pour rassembler l’énergie psychique comme en une sorte de “perforation” afin d’atteindre les couches de plus en plus profondes de la spiritualité universelle, en se libérant des contingences d’espace et de temps. Ainsi, dans le Mahayana, le Yoga est transposé en méthode métaphysique.

CONCLUSION

En conclusion, que pourrions-nous comprendre du Bouddhisme après ce bref résumé ?
Le Bouddhisme primitif est une doctrine philosophique et métaphysique enseigné par un prince indien, Cakyamuni, qui n’a jamais prétendu être un dieu, mais seulement le maître enseignant un système complet en vue de la réalisation et de la libération par soi-même, par un développement moral, spirituel et surtout intellectuel. Les points de vue desquels se place le Bouddhisme orthodoxe se trouvent en partie amorcés par l’évolution propre de la pensée brahmanique, et les bouddhistes des premiers temps furent à la fois des yogins par leurs moyens et des sophistes par leur art dialectique. Mais comme le Bouddhisme apporté des conceptions nouvelles sur la Liberté et l’Egalité, il a connu un rapide succès.

Pour le Bouddhisme Mahayana, le salut individuel n’a de valeur absolue que s’il contribue au salut universel.


L’IMPLANTATION DU BOUDDHISME EN ASIE

Depuis environ deux mille ans, le bouddhisme Mahayana s’est propagé par voie de terre, du Nord-Ouest de l’Inde vers l’Asie orientale, en contournant les montagnes de la Haute-Asie, en gagnant l’Asie centrale et en progressant alors vers la Chine, le Vietnam, la Corée, le Japon… dont il séduisit les artistes, les lettrés et même les militaires grâce aux réalismes transcendant de la vacuité et sa secte de l’extase, le Zen, et dont il sut aussi attirer la grande masse..
D’autre part, une seconde vague de propagation du Mahayana a déferlé, toujours par voie de terre, du Nord-Est de l’Inde vers le Tibet. Elle fut le fait des écoles tantriques qui, par la gnose, le yoga, la dévotion, les rites, voire la magie, ambitionnaient une réalisation plus large et plus prompte du salut.
Enfin, la Doctrine Primitive du Bouddha par voie maritime de Ceylan vers la Birmanie, gagnant la Thaïlande, le Cambodge, le Laos, des pays où le bouddhisme s’est profondément ancré.
Il convient enfin de noter que le Bouddhisme venu directement de l’Inde du Ve au VIIe siècle vers l’Indonésie et la Malaisie y a rencontré une résistance acharnée des adeptes de l’Islam et a réussi à peine à s’implanter dans une dizaine de localités .

LE MAHAYANA EN CHINE ORIENTALE

L’Extrême-Orient mystique accueillit avidement le Mahayana. Dès la première moitié du 11e siècle, le Mahayana s’implante en Chine et donna naissance à de nouvelles sectes. On assista alors à l’épanouissement d’un bouddhisme typiquement chinois qui innova dans le domaine des interprétations et des doctrines.
Dès le début, le bouddhisme indien dut faire face au Confucianisme dont la doctrine consiste à maintenir l’ordre social en développant l’homme-individu. Mais une telle “religion”, très en faveur auprès des princes qui s’en servaient pour gouverner, n’a pu toucher effectivement la masse populaire, qui s’était tournée vers le taoïsme, et était par la suite disposée à accueillir favorablement le bouddhisme.

Par ailleurs, les premiers missionnaires bouddhistes en Chine se gardaient soigneusement de prêcher aux Chinois des doctrines qui les eussent déconcertés, comme “l’absence de soi”, “l’extinction des désirs”, etc. Mais ils s’en tenaient à l’enseignement moral, à la doctrine du Paradis, aux techniques de la méditation, à tout ce qui fait du bouddhisme une religion personnelle, opposée à l’éthique communautaire trop rigide du confucianisme. A défaut de dogmes, il réussirent à répandre autour d’eux les vertus du don, du renoncement, de la tolérance et surtout de la grande compassion.

Ainsi profitant de l’équivoque, le Bouddhisme continua à se développer sous le couvert du taoïsme, gagnant même les faveurs de la Cour Impériale.

Vers la fin du IVe siècle, les bouddhistes chinois commencèrent à prendre un intérêt plus vif pour le pays d’origine de leur religion. Fa-Hien fur le premier pèlerin chinois en Inde (399-414) suivi, deux siècles plus tard par Hiuan-Tsang (629-645). Le dernier des grands pèlerins de Chine en terre indienne, dont l’œuvre se soit conservée, fut Yi-Tsing (634-713). Le but de ces pèlerinages était de rassembler en Inde des ouvrages concernant la discipline bouddhique, afin de remédier aux imperfections dont elle souffrait alors en Chine.

Ainsi de nouvelles traductions plus rigoureuses des textes canoniques bouddhiques virent le jour, et les taoïstes comprirent pour la première fois ce qu’est le véritable bouddhisme. Aussitôt, des controverses acharnées s’élevèrent entre les tenants des deux religions. Mais le bouddhisme mahayaniste avait déjà de solides racines dans le sol chinois et put conserver ses fidèles et continuer à prospérer.

Une autre secte mahayaniste typiquement chinois, le Chan (transcription du mot indien dhyäna qui signifie méditation) a pris forme dès le IIe siècle et la joué un grand rôle, on seulement religieux, mais aussi littéraire et artistique. Ce succès est dû à ce qu’i y a certain points communs entre le bouddhisme Chan et le taoïsme : d’abord, ce dédain des bouddhistes chan de la chose écrite qui peut être rapproché de l’adversion que montrent les taoïsmes à l’égard des textes ; ensuite cette méditation pour prendre conscience de notre participation à la Vie Universelle, qui rappelle la contemplation par laquelle les taoïstes assaient d’entrer en contact avec de Tao. Principe Premier du tout :
Le langage est trop pauvre pour expliquer la Vérité Ultime.
On ne peut la comprendre qu’après une juste Méditation

Mais en dehors des monastères où les bonzes méditaient ou étudiaient sérieusement la doctrine du Sage, il existait en Chine une religion bouddhique populaire opérant une fusion complète entre le Mahayana, le Taoïme et le Confucianisme. Elle empruntait ses éléments non seulement à ces trois doctrines, mais aussi aux vielles conceptions animistes de la Chine primitive.
La Chine a donc assimilé le bouddhisme indien pour en faire une religion selon la conception propre. Certains croient que, pour ne pas être assujetti à la tradition indienne, les bouddhismes chinois ont rejeté le Bouddha historique, Sakyamuni, qui était un prince indien, au second plan, pour vénérer un Bouddha mythique, Amitabha sauveur venant au secours des fidèles qui invoquent son nom avec sincérité et ferveur.
Puisque la masse populaire est peu capable d’acquérir par elle-même les mérites suffisants pour arriver à la Délivrance, pourquoi n’accepterait-elle pas le secours offert le Bouddha Amitabha ? Ainsi dans d’Amidisme chinois, le salut par la Grâce se substitue au salut par les Oeuvres du bouddhisme indien primitif.

Dans les pays voisins de la Chine, le Mahayana présente aussi des formes plus ou moins nuancées d’adaptation aux anciens cultes locaux.
Pour rapprocher la doctrine du Bouddha de la religion panthéiste japonaise, le Shintô, qui vénère les phénomènes de la nature et leur attribue une forme humaine, les Bouddhistes propagent le Hokke Kyô ou le Sutra du Lotus, mettant en lumière les deux dogmes essentiels du caractère éternel du Bouddha et la présence de la “nature de Bouddha” chez tous les êtres animés et inanimés. D’après leur interprétation, les divinités du Shintô n’étaient que des manifestations sempiternelles du Bouddha.
Une autre secte accueillie avec enthousiasme par les milieux des lettrés japonais, le Zen (Chan, en chinois) qui, rejetant tout dogme, toute écriture et tout rite, enseignant une méditation fondée sur l’intuition, reste de nos jours l’une des sectes du Mahayana des plus vivaces.

Le Zen a connu de grands succès au Vietnam où le Bouddhisme s’implanta dès le IIe siècle avant J.C. Plus tard, le Bouddhisme y devint un instrument politique pour consolider l’autorité des classes dirigeantes, tandis que les bonzes se voyaient réduits au rôle de gardiens de pagodes officielles et de maîtres de cérémonies.
Au début du XXe siècle, il y eut un mouvement de restauration du bouddhisme, mais le Zen perdit son influence, et de fut l’Amidisme qui prit sa place. Toutefois, les bonzes restent encore des officiants du culte des ancêtres, “religion” nationale du Vietnam. Même ceux qui ne sont pas pratiquants de la religion du Bouddha, ont l’habitude d’inviter les bonzes à venir réciter des prières à l’occasion des enterrements, des “anniversaires de mort” de leurs ancêtres…

LE THERAVADA EN ASIE DU SUD EST

De son côté, le Thérévada ou la “Doctrine des Anciens” (dénommé péjorativement “petit Véhicule” par les Mahayanistes) a connu une grande expansion dans les pays du Sud : Ceylan, Malaisie, Birmanie, Laos, Cambodge… dont les populations, plus tournées vers la contemplation que vers la spéculation, ne furent pas influencées par la dialectique postérieure.
Toutefois, le Dharma, dans son authenticité primitive, a subi de profondes modifications. La doctrine primitive a en effet fusionné avec les croyance les plus anciennes du pour donner naissance à un bouddhisme populaire.
Au Laos, par exemple, la religion malgré l’appui très ferme des rois laotiens, à faire disparaître entièrement le culte des Phi (génies). Des sacrifices sanglants (ceux de buffles notamment) dont le principe va à l’encontre de la compassion bouddhique, se perpétuent encore à l’occasion des Fêtes du Riz (Hokhaopadapdinh ou Hokhaosalak).
Il semble qu’on doive rattacher au culte des Phi le Baci ou Soukhouan (rappel de l’âme) ; au cours de cette charmante cérémonie (thaïlandaise, laotienne, cambodgienne…) dont l’officiant, le “mophone”, une personne âgée et respectable du village, rappelle (souvent en présence des bonzes d’une pagode voisine), une âme vagabonde et la retient en nouant un fil de coton blanc au poignet des invités d’honneur, des nouveaux mariés, des malades, des femmes relevant de couches… et même à des bœufs, des buffles…
Le bouddhisme Theravada populaire apparaît donc comme une harmonie acculturation de ces deux ensembles de croyances où le bouddhisme reste l’élément nettement dominant dans les cadres spirituels, moraux et culturels.

En sommes, dans les pays de l’Asie du Sud-Est, comme en Asie elle-même, le bouddhisme s’est largement répandu grâce à sa souplesse d’adaptation au cadre social, aux us et coutumes, aux croyances et aux aspirations populaires, alors que dans son foyer original, la doctrine de Sakyamuni, sans doute à cause de ses nouvelles idées sur la liberté et l’égalité défavorables au système des castes, a suscité de vives oppositions de la part des brahmanes et des classes dirigeantes. Le bouddha historique fut rabaissé au rang des avatars de Vishnu, et un mouvement de Renaissance brahmanique au VIIe siècle réussit à rapprocher hindouisme et bouddhisme, au point que le second ne se justifia bientôt plus en tant que doctrine distincte et finit par être absorbé dans la religion de Brahma. Dès lors le bouddhisme se vit condamné à disparaître et la grande île de Ceylan succéda à l’Inde comme métropole doctrinale bouddhique.

LE VAJRAYANA (BOUDDHISME TANTRIQUE) EN ASIE CENTRALE

Comme on le sait, la dispersion géographique a contraint de nombreux centres abandonnés à eux-mêmes après leur conversion au bouddhisme, à évoluer de façon autonome, s’écartant peu à peu de la pensée du Maître, et le bouddhisme, de façon générale se voit ainsi scindé en trois grand courants : Mahayana, Théravada et Vajarayna (Véhicule du Diamant) ou bouddhisme Tantrique ou encore bouddhisme Mantrique. Vers le VIe siècle, les Tanra (Recueil de règles et procédés magiques) se multiplièrent dans l’Inde mahaynaniste où le mouvement Yoga coopéra à la définition et à la diffusion de pratique spécifiques telles que la maîtrise du rythme respiratoire. Des survivances païennes firent que l’on attribua une grande importance aux Mantra (syllabes magiques). Ces formes magico-ésotériques entrées tout d’abord au Tibet au VIIe siècle, donnèrent naissance qu courant Vajarayana.

Dès l’époque médiévale, les cultes tantriques jouissent d’une popularité au Tibet, en Inde et dans les pays environnants, caractérisés surtout par leurs rites érotiques et leurs pratiques magiques.
De nos jours, c’est plutôt par le truchement de la grande vision des adeptes du Bouddhisme Tantrique croyant pouvoir reconquérir le “paradis perdu” dans cette vie présente, non par une grâce divine, mais par leurs propres effort à maîtriser les énergies de la Nature même les plus antagonistes pour les mettre au service du salut de l’être humain, – que le public occidental commence à s’interroger sur cette Ecole, dans laquelle la notion du péché se voit exclue et la relation sexuelle considérée comme une fonction saine, productrice d’une puissance qui peut être transmuée au service des fins élevées.

LES TROIS YANAS

Selon les adeptes du Vajrayana (Ogyen Kunzang Chölung, Tebetan Nyingma. Meditation and Study Center, Bruxelles, 1976, pp. 17-20), le Bouddha Sakyamuni enseigne le Dharma (doctrine) à chacun de ses disciples en fonction de leur développement intellectuel et de leur compréhension. De là, l’éclosion de tradition et de diverses écoles des bouddhistes tantriques :
“A certains disciples, le Maître enseigne le Hiniyana (ou le Théravada) et la perfection de l’Arhat. A d’autres, dont la compréhension spirituelle est supérieure, il expose la voie royale du Mahayana. Mais aux disciples qui ont atteint la pleine maturité, il révèle le Vajrayana ou le “sentier de diamant ”

Les doctrines du Hiniyana (Théravada) et du Mahayana sont exposées dans les canons appelés Sutras ; celles du Vajrayana dans ceux appelés Tantras (d’où le nom de bouddhisme tantrique). L’une comme l’autre sont la Paroles Péremptoire du Bouddha. Son disciple personnel Ananda récite de mémoire les Sutras qui ne seront mis par écrit que plusieurs siècles plus tard. Les Tantras, pour la plupart, révélés au grand Boddisattva Vajrapani, ont été tenus secret dans la tradition orale, de maître à disciple, pendant un millier d’années avant d’être fixés par écrit. C’est ainsi que les canons appelés Tantras sont apparus beaucoup plus tard que les Sutras.
– Ceux qui suivent la voie du Hiniyana (Théravada) recherchent la perfection de l’Arhat, qui littéralement signifie “personne qui a réussi à tuer ses ennemis”, c’est-à-dire à éliminer les souillures constituées par les émotions négatives et les impulsions égoïstes formant la couche externe qui recouvre notre esprit. L’Arhat est donc celui qui a atteint la réalisation de la doctrine de la non réalité et de la non-substantialité de l’ego, par une renonciation vigoureuse et une discipline ascétique au cours de vies innombrables pour atteindre le Nirvana en dehors du cycle de réincarnation (Samsara)
Ceux qui suivent la voie du Mahayana sont appelés Boddhisattvas. Ce sont des Arhats qui arrivent à éliminer la couche profonde et la plus inaccessible qui recouvre l’esprit : des formations intellectuelles et les fictions métaphysiques. Ils prononcent de surcroît au début de leur entraînement spirituel le Grand Vœu de retarder leur entrée au Nirvana pour réconforter et secourir les êtres qui restent encore prisonnier des liens du Samsara.
– Ceux qui s’engagent sur la voie du Vajrayana, à l’opposé du Mahayana qui exige d’innombrables vies pour atteindre l’illumination, le Nirvana, dans cette vie même, dans notre corps même. Le Vajrayana est le sentier abrupt et direct le long de la face escarpée de la montagne. Pour cette raison, il est plus dangereux et difficile et exige de celui qui veut le gravir l’assistance permanente d’un Maître personnel ou Gourou (3).
Le Tibet a été particulièrement sensible à cette dernière forme de Bouddhisme. Mais si le Vajrayana s’y est largement répandu, il a connu là d’autres influences et altérations qui l’en enrichi à tel point qu’il est devenu une entité spécifique et particulièrement original. Parmi les influences – ou tentations d’influence – les plus marquantes, il faut situer le Zen.

LE VAJRAYANA ET LE ZEN

Le Vajranana est essentiellement proche du Zen. Son objet est le même : l'”Illumination ici est maintenant”. Sa manière de l’approcher n’en est pas moins directe. Mais à la différence du Zen, il s’appuie sur une abondance de supports, de symboles et de concepts.
Avec le Zen – pour ainsi dire – on commence qu niveau du doctorat en philosophie. Avec le Vajrayana, on peut prendre le chemin à n’importe quel niveau, depuis le jardin d’enfants jusqu’à la chaire de professeur.
Le Vajrayana ou Bouddhisme tantrique insiste donc particulièrement sur la méthode par opposition à la simple piété ou à l’érudition. Le mot même de tantra, qui dérive d’une racine sanscrite signifie “tisser” : il suggère donc l’activité.

Comme on le sait, la dispersion géographique a contraint de nombreux centres abandonnés à eux-mêmes après leur conversion au bouddhisme, à évoluer de façon autonome, s’écartant peu à peu de la pensée du Maître, et le bouddhisme, de façon générale se voit ainsi scindé en trois grand courants : Mahayana, Théravada et Vajrayna (Véhicule du Diamant) ou bouddhisme Tantrique ou encore bouddhisme Mantrique. Vers le VIe siècle, les Tanra (Recueil de règles et procédés magiques) se multiplièrent dans l’Inde mahaynaniste où le mouvement Yoga coopéra à la définition et à la diffusion de pratique spécifiques telles que la maîtrise du rythme respiratoire. Des survivances païennes firent que l’on attribua une grande importance aux Mantra (syllabes magiques). Ces formes magico-esotériques entrées tout d’abord au Tibet au VIIe siècle, donnèrent naissance au courant Vajrayana.
C’est le contexte géographique du Tibet, ce vaste plateau, dénommé “le toit du monde”, qui mettant constamment l’homme en face des forces immenses et changeantes de la nature, a contribué à l’éveil de l’ambition d’une résiliation plus immédiate de son salut :
– le Nirvana doit être atteint, non après la mort, dans un certain paradis, mais ici est maintenant même dans notre vie.
– notre corps “non réel” et éphémère constitue pourtant dans le Présent une source d’énergie “de Diamant” qu’il nous faut savoir exploiter pour gagner notre salut. Et pour cet effet, tous les moyens sont valables : le concours des divinités aussi bien que celui des démons, nos meilleures intentions aussi bien que nos pires désirs à condition que nous arrivions à les conditionner et à les sanctifier.

METHODE DU VAJRAYANA

La méthode tantrique a quelques chose d’unique : sa richesse de technique qui consiste à utiliser toute chose bonne ou mauvaise pour réalise l’Illumination immédiate. Comme en judo, d’adepte apprend à se servir, à son propre avantage du poids de l’antagoniste et des obstacles qu’il transmue en instruments capables de fournir le prodigieux élan nécessaire. Dans la plupart des autres religions ou sectes, il faut se tourner des ténèbres vers la lumière, tandis que dans le Vajrayana, les adeptes accueillent également anges et démons comme leurs alliés. Puisque l’homme, comme tout ce qui compose l’univers, est Energie, les tantristes, grâce à une pratique sublime conservé respectueusement par la lignée des maîtres peuvent apprendre à connaître cette force, à transmuer les énergies du bien comme celles du mal, pour les mettre au service de leur entraînement spirituel pour leur libération, c’est-à-dire pour atteindre au Nirvéna immédiatement.
Bref, la conduite des adeptes du Vajrayana peut paraître peu orthodoxe, car, déterminés à tout employer dans leur vie comme moyen de réalisation, ils n’excluent pas les processus animaux tels que manger, dormir excréter et – s’ils ne sont pas moines – avoir des relations sexuelles. L’énergie des désirs et des passions ne doit pas être perdue mais jugulée. Tout acte du corps, de la parole et de l’esprit, toute circonstance, toute sensation, tout rêve peut être mis à profit.
Dans la pratique, cette absence de péché signifie que chaque action sera considérée non comme bonne ou mauvaise en elle-même, mais en relation avec tout son contexte : si l’acte ne nuit à personne, il n’y a pas de mal. Tout ce qui nuit aux autres est mauvais, comme tout ce qui nuit à soi-même. L’adepte lui-même en effet doit consacrer ses énergies mentales et physiques à réaliser l’Illumination immédiate.
Alors que certains bouddhistes d’autres sectes s’intéressent beaucoup à l’accumulation de réserves de mérites, les adeptes du Vajrayana perçoivent qu’à moins de faire très attention, s’absorber dans les bonnes œuvres tend à gonfler l’ego en engendrant la suffisance.
L’intention des tantristes est de se constituer un “corps de diamant” capable de supporter des entrées répétées dans des états de conscience élevés sans se briser sous le flux des forces extraordinaires. Ce que l’on ne peut vaincre, il faut l’ennoblir, ou, à défaut, y céder selon des méthodes spéciales.
– On peut ennoblir les appétits, les désirs dont on ne peut se défaire, par une simple sublimation comme celle qui permet à un professeur, par exemple, de tirer de son amour secret pour une des ses élèves une éloquence et un inspiration dont profite toute la classe. On peut ennoblir aussi en créant des symboles mentaux reliés au but spirituel, sur lesquels est transfigurée la force du désir, puis bannissant ces symboles, de sorte que le désir soit concentré directement sur le but : imaginer par exemple une forme féminine idéale pour laquelle l’adepte éprouve toute l’ardeur et la chaste émotion qui nous rappelle celle du chevalier médiéval pour sa dame.
– Et quand on ne peut ni vaincre, ni ennoblir ses appétits et ses désirs (désirs karmiques), il faut savoir y céder tout en accompagnant l’acte une intention soutenue, ainsi que ses causes et ses conséquences.
Les buts du désir, une fois atteints, répondent rarement à notre attente. Ils se révèlent finalement une maigre récompense pour la fortune, le temps est l’énergie dépensée. Les leçons tirées de diverses expériences aident à dissiper le désir…On peut y céder aussi en effectuant un transfert mental de l’objet du désir sur quelque chose d’autre. La relation sexuelle, par exemple, est considérée comme une fonction saine, productrice d’une puissance qui peut être transmuée au service de fins élevées. Les présentations des déités en étreinte sont traitées avec un profond respect ; elles symbolisent l’union des forces de sagesse et de compassion par analogie avec l’union physique, qui est la source de la plus haute félicité après l’extase spirituelle.
Ainsi quand ont doit céder au désir de l’adonner aux relations sexuelles on retire son esprit de l’environnement immédiat pour identifier son désir intense avec le désir intense de la Libéation et diriger la force sur son aspiration à ce but.
Pour la pratique mentale, le Vajarayana utilise les méthodes traditionnelles de la méditation bouddhiste : maîtriser la pensée, réaliser la concentration unifiée de l’esprit sur un seul objet et cultiver la conscience intensément présente. Mais la méthode caractéristique du Tantrisme est la Visualisation qui engage les trois facultés du corps, de la parole et de l’esprit.
Les préliminaires impliquent l’usage des :
Mudras (gestes sacrés) ;
Mandras (invocations) ou prières qui ont une signification différente de celle que leur donnent les autres religions. Elles ne sont pas considérées comme “agréables aux dieux” mais des moyens de conduire l’esprit à des états conscience supérieure ; ce ne sont que des aides pour les pratiques extrêmement importantes que recouvre vaguement le terme méditation.
Dharanis (enfilement circulaire de syllabes).
Bija-mantras (syllabes germes d’où surgit la visualisation) :

Ces gestes, ces récitations sont combinés avec des exercices respiratoires du yoga pour permettre de visualiser habituellement les syllabes de couleur qui les formes.
On visualise par exemple une “bija” qui jaillit d’un vide immaculé “comme au ciel d’automne turquoise”, et la bija se transforme magiquement en lotus… Ces lotus s’épanouissent en découvrant une seconde “bija” qui prend aussitôt en forme de déité. Dans le cœur de la déité déjà, brille une autre “bija”… et ainsi de suite.
Dans cette pratique mentale, les symboles et les rites jouent un rôle primordial. Selon l’optique tantrique, ils sont des obstacles au progrès lorsqu’on en attend des résultats mécaniques. Mais tous, pris comme une aide pour susciter les états de conscience désirés, sont d’une valeur inestimable. L’adepte fortifiera la conscience de l’ego qu’il se propose de nier, s’il s’adonne à une méditation sans le recours des symboles et des rites.
L’homme en tant que son propre libérateur dépend de la puissance de son esprit. Mais l’esprit n’est pas sa possession exclusive, il est partout. C’est lui qui contient l’univers, et il est donc puissance extérieure. Ce qui est à l’extérieur est aussi à l’intérieur. La “révérence” envers l’esprit – le bouddha intérieur – enseigne la confiance en notre propre effort pour réaliser la Libération. La “révérence” envers les symboles en accomplissant les rites, enseigne la crainte sacrée et l’humilité.
Mais les symboles sont les rites, les Tantriques définissent – en une seule pratique – la loi inébranlable en leur propre énergie pour atteindre l’Illumination et leur vulnérabilité devant l’ouverture de l’ego.

OUVERTURE

En somme, comme les autres bouddhistes, les disciplines en Vajrayana reconnaissent que la Libération, le Nirvana, ne peut se gagner ni par l’intervention divine ni par la foi, la piété, les prières, les mérites… mais par un effort intense qui culmine dans une sorte de “révolution mentale”(4) basée sur deux concepts fondamentaux. : de devoir de compassion et la nécessité de la maîtrise de soi.
Cette “révolution mentale”(4) engage les tantristes à reconnaître en tout ce qui nous entoure le Nirvana ; toute chose doit être observée, puis ressentie de deux manières nouvelles : intrinsèquement parfaite (puisque la réalité même dans aspect non-vide peut être ennoblie et reconnue comme une sphère de la perfection imaginable) ; une conviction absolue que tout est vide fait disparaître la peur et établir une tranquillité inébranlable. Une visualisation extérieure qui ennoblit par une révolution de l’esprit, nous permet de recevoir la beauté même dans des objets auparavant repoussants comme un fumier, des cadavres en décomposition… (une des raisons pour laquelle l’iconographie tibétaine compte tellement de crânes de sans, de cadavres).
C’est en quelque sorte, une vision permanente pleine de félicité qu’on ne peut obtenir que sous l’influence de l’extase yogique sans toutefois jamais se détourner par dégoût du monde ; vision par laquelle les tantriques croient pouvoir reconquérir le “paradis perdu” non par une grâce divine, mais uniquement par leurs propres efforts physiques et surtout intellectuels à compatir avec l’ensemble des êtres qui peuplent notre terre de souffrance, à maîtriser les forces de la Nature même les plus antagonistes pour les mettre au service du salut de tous dans l’immédiat et dans ce monde.

*

En somme, le Bouddhisme primitif est une doctrine philosophique et métaphysique prêchée par un prince indien Cakyamoni, qui n’a jamais prétendu être un dieu, mais seulement le maître qui enseigne un système complet en vue de la réalisation et de la libération par de soi-même, par un développement moral, spirituel et surtout intellectuel.
Bientôt, pour le Mahayana, qui est un élargissement et un épanouissement de la Doctrine Primitive, le salut individuel n’a de valeur absolue que s’il contribue au salut universel ; les futurs bouddhas mahyanistes se mettent à la disposition de ceux qui n’ont pas encore l’Eveil, il en résulte que ces derniers peuvent solliciter leurs aides. Le Bouddhisme, à l’origine non-déiste – mais non-athée – strictement expérimental, devient alors une religion de salut par la grâce.
Comme le Bouddhisme a apporté de nouvelles conceptions sur la liberté, l’Egalité, il a connu un rapide succès, une large expansion. En Inde, comme dans les pays où il s’est implanté, le Bouddhisme s’est adapté, a fusionné avec les croyances indigènes et les cultes locaux, pour former une religion bouddhique populaire. La dispersion géographique favorise certains centres à évoluer de façon autonome : Au Tibet par exemple, les adeptes du Bouddhisme Tantrique croient pouvoir reconquérir “Le paradis perdu” dans la vie présente, non par une grâce divine, mais par leurs propres efforts, et des pratiques magiques…

JATAKA
une même source pour les contes de plusieurs pays d’Asie du Sud-Est

Jataka signifie vie, naissance. Les Jâtaka sont une recueil de récits sur les vies antérieures du Bouddha Sakyamini. Ces récits auraient été faits par le maître lui-même lorsqu’il prêchait la Doctrine à ses disciples.
Selon le Bouddhisme, Sakyamuni a traversé les fortunes les plus variées, depuis l’état animal jusqu’à celui de divinité, en passant par les diverses conditions de l’humanité, tandis qu’il accumulait la somme énorme des mérites pour parvenir au suprême Eveil.
Sa longue carrière de Bodhisattva (celui qui est sur le chemin de la perfection, passe de devenir Bouddha) a donné matière à des récits d’une grande diversité : contes moraux, contes satiriques, apologues, fabliaux, etc. Tout le trésor du folklore hindou s’est déversé dans ce cadre commde, y a reçu l’estampille bouddhique et a été colporté dans toute l’Asie du Sud-Est qui l’a accueilli avec enthousiasme.
Le recueil, tel qu’il nous est parvenu, se compose de 547 contes. Le cadre en est souvent rustique, les sujets simples, familiers, puisé dans le folklore et traités avec un réalisme naïf, pleine de charme.
Bien des Jataka sont des fables d’animaux. Un grand nombre de contes présentent des gens du commun, laboureurs, jardiniers, ouvriers, tailleurs, potiers, etc. Certains récits sont drôles, voire même choquants : tel est celui dans lequel le Bodhisttva, alors roi de Bénérès, donne de l’argent à un entreprenant garnement pour séduir la femme de son chapelain. Ce dernier, trompé de la façon la plus vulgaire, se pénètre désormais de l’idée que les attachements du monde sont aussi douloureux que vains. C’est là une action bien surprenante pour un saint homme, mais ici l’unique but du Bodhisattba étant d’enseigner la morale, de libérer l’homme des liens de la passion (1).
Toutefois, dans d’autres contes, le Bodhisattva nous émeut par des actes de charité et d’abnégation surhumaine. Admirable en effet et bien émouvante est l’histoire du futur Bouddha offrant son corps à la tigresse affamée pour lui faire éviter le crime de manger ses propres petits. Nous le voyons aussi dans le personnage du roi Sibi, se faire arracher les yeux pour offrir à un brahmane aveugle qui les lui demande.

A LA SOURCE DE LA LITTERATURE ORALE D’ASIE DU SUD-EST

Les Jataka, spécialement ceux de ces récits qui sont les plus humaines, ont été une abondante source d’inspiration pour les conteurs des pays de l’Asie du Sud-Est, et le centre de toute la littérature bouddhique de ces régions. Ils ont été non seulement traduits, mais souvent plus ou moins glosés, résumés, adaptés, et sont devenus si familiers aux autochtones que chacun a le sentiment qu’ils appartiennent au folklore de son propre pays. Les plus répandus et les plus célèbres sont les dix grands Jâtaka qui terminent le recueil et singulièrement le dernier, le Vessantara-Jataka. Le Jâtaka de Rathanesa ou les “Douze Filles”, celui de Samuddhaghosa, ont inspiré particulièrement bien des poètes de l’Asie du Sud-Est. Ils ont aussi connu la faveur du théâtre et même du théâtre d’ombres. Le Jâkata de Sang Thong ou “Conque d’or” met en évidence un trait commun à de nombreux autres : “le nœud principal de l’intrigue est un mariage entre des jeunes gens de castes ou de milieux différents et le conte tourne ensuite autour des complications que ces unions entraînent au début pour les fils ou fille de roi, et de la nécessité pour ceux qu’ils ont épousés, de subir des épreuves, afin d’être reçu dans la caste régnante. Ces contes se terminent par la fin toujours heureuse de ces mariages. Ce trait est intéressant à noter si l’on se souvient que la formation des premiers “états hindouisés” de l’Asie du Sud-Est fut basée précisément sur des mariages mixtes”.
D’autres titres de Jâtaka isolés ne se retrouvent ni dans le recueil canonique, ni dans les collections extra-canoniques et il semble bien que le Jâtaka soit devenu un véritable genre-littéraire, un cadre commode où on a fait entrer toute sorte d’histoires ramassées de-ci, delà dans le folklore indochinois.
Il convient aussi de noter que les Jâtaka ont joué un rôle non moins important dans les us et coutumes de l’Asie du Sud-Est.
La récitation du Jâtaka sur le Bodhisattva-poisson, au Laos, est un moyen pour obtenir la pluie. On prépare cinq khan (coupes) d ‘hommage puis, les bonzes récitent un passage de l’invitation à la pluie que prononça le Bodhisattva, et au cours de services de trois jours ou plus, le Jâtaka est lu en entier.
Ou encore, c’est la récitation du Jâtaka sur le Bodhisattva-crapaud d’or. Dans une excavation creusée dans le sol, on amène de l’eau et on place diverses espèces de poissons ; sur les bords de cette mare sont modelées des figurines d’animaux, éléphants, chevaux, buffles, mouches, etc. Puis on prépare divers récipients contenant chacun des fleurs, du riz grillé, ou de l’eau parfumée. Les laïcs qui participent à la cérémonie doivent s’habiller en blanc. Après la récitation des prières des bonzes, on écoute la lecture du Jâtaka du crapaud d’or, pour demander la pluie .

LES JATAKA ADOPTES GRACE A D’ADROITES ADAPTATIONS

Les Laotiens dès leur arrivée dans la région des Phu Noi, tentant de convertir les autochtones au Bouddhisme auraient estimé que la danse de la Kinnari dans le Sudhna-Jâtaka pouvait se confondre avec celle des génies-oiseaux considérés comme les ancêtres de cette tribu. Le costume bleu-indigo, le cache-sein blanc et les guêtres de même couleur que portent les femmes phou-noi peuvent en effet permettre la comparaison avec des oiseaux. Mais les Laotiens ne se contentèrent pas de l’adopter immédiatement et inventèrent même à l’appui de leur thèse, une nouvelle version orale du Jâtaka, affirmant que c’était pour célébrer l’évasion de Manora que les génies-oiseaux dansaient. Aussi, les traditions chez les Phou-Noi ont-elles voulu qu’une danse des oiseaux ait lieu tous les huit ou dix ans, les danseurs portant des masques faites en bambou tressé, pour assurer leur prospérité et une bonne récolte. Les Laotiens créèrent en outre de toutes pièces une géographie mythique locale, d’après laquelle les femmes phou noi étaient descendantes des Kinnari, parce que l’endroit où le prince Dudhana avait trouvé Nang Manora s’appelait Phou Fa (montagne qui domine Phong Saly). Quant au lac près duquel dansaient les Kinnari, c’est le lac Nang ba, situé à 4 km de cette montagne, sur la route de Hatia.
Ainsi ce conte bouddhique, adaptés à des traditions autochtones, est-il devenu l’épopée nationale des populations phou -noi.
Enfin, une étude comparative des versions laotienne, chinoise et vietnamienne du Kharaputta-Jâtaka pourrait nous donner une idée sur les différentes réactions des habitants des “pays hindouisés” devant un même thème comporté par un Jataka importé de l’Inde.

Version laotienne Le bœuf et l’âne

Le conte “La femme du Laboureux” dans le Prologue-Cadre du “Nang Tan Tay” (version laotienne du Pancha Tantra hindou) est une adaptation du Kharaputta-Jataka :
“Jadis, un riche laboureur possédait un grand nombre d’animaux domestiques bœufs, buffles, ânes, cochons, chiens coqs, poules, canards…
Il se lia d’amitié avec un diable qui lui enseigna le pouvoir surnaturel de comprendre le langage des animaux, avec recommandation de bien le garder secret, sous peine de mort instantanée.
Un soir, faisant sa ronde à l’étable, le laboureur entendit par hasard un bœuf et un âne s’entretenir comme suit :
– Mon cher ami, dit le bœuf à l’âne, j’envie ton heureux sort. Tu as seulement à porter le patron qui ne se déplace que rarement. De plus, il y a toujours quelqu’un qui se charge de t’apporter régulièrement une bonne nourriture : herbe tendre et eau claire. Pour dormir, tu as un coin bien propre et bien tranquille. Quant à moi, quelle misérable vie ! Je peine pour le patron de l’aube au crépuscule, et pourtant, toute la journée, il me fouette sans pitié. Regarde mon cou plein d’égratignures, les poils ne peuvent plus y pousser à cause des frottements du joug. Puis, après chaque séance de labourage, on m’attache à un endroit où l’herbe est si rabougrie et si dure que je n’arrive pas à l’arracher. Le soir, on m’enferme dans une étable boueuse et pleine de moucherons où je ne puis dormir tranquillement… quelle injustice !
L’âne lui répliqua :
– Quel imbécile ! Ton intelligence et ta volonté ne sont vraiment pas en proportion avec ton corps énorme et tes cornes bien acérées. Tu veux avoir une vie tranquille et heureuse, n’est ce pas ? Eh bien, ce n’est pas difficile. Demain, tu mettras à l’exécution un des deux stratagèmes suivants : au moment où l’on vient te chercher pour t’atteler, fais semblant de t’emballer, montre tes cornes comme si tu étais sur le point de charger, cabre-toi, comme si tu étais prêt à donner des coups de sabot, ou bien à l’heure où l’on t’apporte de l’herbe, feins d’être malade et n’en mange pas. Alors on ne te fera pas travailler et pourras être tranquille et heureux.
Après avoir suivi d’un bout à l’autre cette conversation, le laboureur recommanda à son serviteur :
Demain, si le bœuf ne peut pas tirer la charrue, attèle l’âne à sa place.

Le lendemain matin, quand le serviteur vint chercher le bœuf, ce dernier refusa de se laisser emmener ; alors suivant les recommandations de son patron, le serviteur attela l’âne à la place du bœuf. L’âne dut tirer péniblement la charrue jusqu’à la tombée de la nuit, épuisé à en mourir. Non habitué à cette sorte de travail, ne pouvant tracer convenablement les sillons, il fut fouetté toute la journée par le laboureur. Le soir, enfin dételé, il chancelait d’épuisement. Parvenu à son étable où il ne trouva rien que de l’herbe desséchée et quelques brins de paille, l’âne, les larmes aux yeux commença à réfléchir sur son sort.
Au contraire, le bœuf bien reposé, recevait à la place de l’âne de l’herbe tendre et de l’eau fraîche. Il en fut très reconnaissant à son ami l’âne.
Le surlendemain, le bœuf fit encore semblant d’être malade et ne prit pas de nourriture. Le serviteur, à nouveau attela l’âne à la place du bœuf et ce dernier connut encore les même malheurs que la veille. le pauvre âne se dit alors :
– Tout ceci vient de ma sottise et de mon immission dans les affaires d’autrui. Si je n’arrive pas à trouver un moyen de me sortir de cette malheureuse situation, je ne manquerai pas de périr bientôt.
Le laboureur ayant donné l’ordre de faire travailler l’âne à la place du boeuf, voulut connaître les réflexions de ces deux bêtes après l’incident. Le soir, se promenant avec sa femme dans la cour de la ferme, il s’arrêta devant l’étable où il put surprendre en effet l’âne et le bœuf en train de converser en ses termes :
– Aujourd’hui, dit l’âne au bœuf, pendant la séance de labourage, j’ai entendu le patron donner aux serviteurs un ordre très important. Et c’est un ordre vraiment terrifiant, qui m’a fait tressaillir de peur. Pauvre ami ! Un grand malheur va t’arriver fatalement.
– Quel est donc cet ordre ? Demanda le bœuf impatient. Je brûle de le savoir. Feignant d’avoir pitié du bœuf, l’âne poursuivit :
– J’ai entendu le patron ordonner aux serviteurs de vérifier si vraiment tu étais malade. Si tu l’étais réellement, il faudrait te faire abattre et le dépiècer plutôt que de te laisser crever. Et cet ordre doit être exécuté dès demain de bonne heure. j’ai pitié de toi puisque tu es mon grand amis…Je suis en train de chercher un moyen pour sauver.
Ignorant que c’était à une ruse de l’âne, le boeuf le pria avec insistance de trouver un stratagème pour le sauver.
L’âne suggéra alors :
– Demain matin, lorsqu’on t’apportera l’herbe et l’eau, hâte-toi d’en manger avec appétit. Le patron croira que tu es guéri et ne donnera plus l’ordre de t’abattre. Ainsi tu éviteras certainement la mort.
Le bœuf y consentit et remercia vivement l’âne.
Ayant suivi d’un bout à l’autre la conversation entre ces deux bêtes, conversation qui fit ressortir l’intelligence et l’esprit malin de l’âne ainsi que la stupide crédulité du bœuf, le laboureur ne put s’empêcher de s’esclaffer.
– Pourquoi ris-tu ainsi ? lui demanda sa femme.
Ne sachant comment répondre, il répliqua :
– Il te suffit de m’entendre rire ! Ne m’en demande point la cause !
Vexée par une telle réponse sa femme l’adjura cependant de lui dire la raison qui l’avait fait rire ainsi.
– Je ris de l’âne et du bœuf. C’est tout. Il m’est impossible et même dangereux de te révéler la vraie cause.
– Je ne puis comprendre, reprit sa femme, comment des bêtes telles que l’âne et le bœuf pouvent te faire rire ainsi ? Ne sont-elles pas restées bien tranquilles toute la soirée dans leur étable ? Si tu tiens à ne pas me dire la cause, je vais te quitter pour toujours, car je ne veux pas vivre avec un mari qui n’est pas franc et sincère.
Elle alla s’enfermer dans sa chambre et se lamenta toute la nuit, laissant son mari dormir seul sous la véranda.
Le lendemain, voyant sa femme toujours en colère, le laboureur essaya de la calmer.
– Il ne faut pas te faire du mauvais sans pour si peu de. Je suis désolé de ne pouvoir te dire pourquoi je riais, car il y va de ma vie même…
– Et sa femme s’exclame :
– Que tu sois mort ou vivant, cela m’importe peu ! Ce qui m’importe c’est que tu me dises qu’est ce qui t’a fait rire ainsi. Sinon, chacun ira de son côté.
Le laboureur fit appel à ses parents et à ceux de sa femme pour tenter de la faire revenir sur sa décision, mais en vain.
La femme se montra toujours aussi intransigeante ; elle s’arrache les cheveux en se lamentant bruyamment. Leurs enfants se mirent aussi à pleurer et à crier. C’est était un spectacle vraiment désolant et insupportable.
Le laboureur quitta alors la maison pour aller réfléchir dans le jardin où il put entendre une autre conversation entre son chien et le grand coq de la basse-cour.
– Frère coq, dit le chien, pourquoi cours-tu encore derrière ces poules ?
– Comment oses-tu me faire de pareille observassion ? Ne suis-j pas libre de faire ce qui me plaît ? répliqua le coq.
– Ah ! soupira le chien, je vois bien que tu n’es pas au courant de cette importante nouvelle ; notre patron est actuellement désespéré à cause de sa femme ; il est placé devant un dilemne, s’il révèle la vérité à sa femme, il mourra instantanément, mais s’il ne le fait pas, sa femme le quittera et il pourra en mourir de chagrin. Comment peux-tu penser à t’amuser, et à courir derrière tes poules alors que notre patron est dans le désastre ?
– Notre patron se résigne à sacrifier sa vie pour satisfaire la curiosité de sa femme, c’est vraiment beau et courageux. Mais je ne suis demandé si notre patron avait deux ou trois femmes comme les autres, combien de fois lui faudrait-il mourir pour les contenter toutes ? Ah! le pauvre homme ! N’ayant qu’une seule femme, il n’arrive même pas à la dompter. Regarde-moi ! j’ai une cinquantaine de femmes dans ma basse-cour et j’ai toujours su les maîtriser. Que les femmes respectent et écoutent leur mari ! Si le patron avait de la personnalité comme moi, il il saurait maîtriser la situation.
Le chien lui demanda alors :
– A ton avis, comment devrait-il réagir maintenant ?
– C’est simple, répondit le coq, il n’a qu’à la rosser comme il faut et elle saura se conduire plus sagement.
Gagné par le raisonnement du grand coq, le laboureur s’en alla chercher un gros bâton et donna à sa femme une bonne correction.
Cette dernière, en effet après avoir reçu quelques coups de bâton se calma et depuis, elle renonça à obliger son mari à lui révéler son secret.”.

Version chinoise

Nous pouvons retrouver une autre version du Kharaputta-Jâtaka chez les Chinois. Elle est rapportée par Chavannes comme suit :
” Autrefois, dit le Tripitaka, la fille du roi-dragon (nâga-râja) étant sortie pour se promener, fut chargée de liens et battue par un gardien de bœufs. Le roi du royaume étant sorti pour parcourir son territoire, aperçut la malheureuse jeune fille, la délivra et lui permit de s’en aller.
Le roi dragon demanda à sa fille :
– Pourquoi avez-vous pleuré ?
Elle lui répondit :
– Le roi du royaume m’a injustement battue.
Le roi-dragon dit :
– Le roi est habituellement bon et juste, comment pourrait-il battre les gens sans raison ?
Pour avoir le cœur net et lorsque l’obscurité fut venue, le roi-dragon se changea en un serpent et alla se glisser sous le lit princier, il put alors entendre les paroles que le roi confia à sa femme :
– J’ai vu aujourd’hui au cour de ma promenade une jeune fille chargée de liens et battue par un gardien de bœufs, je l’ai délivrée et lui ai permis de s’en aller.
Le lendemain, le roi-dragon sous forme humaine vint se présenter au roi et lui dit :
– Vous m’avez rendu un grand bienfait. j’avais permis à ma fille d’aller se promener ; elle fut liée et battue par un gardien de boeufs mais elle a eu le bonheur dêtre délivrée par vous. Je suis le roi-dragon, ce que vous désirez vous l’obtiendrez.
Le roi dit :
– Des objets précieux, j’en ai moi-même beaucoup. Je désire comprendre le langage de tous les animaux.
Le roi-dragon lui dit :
– Vous allez vous purifier durant sept jours et revenez me voir. Mais prenez bien garde que personne ne sache.
Les choses étant passées ainsi, le roi était en train de manger avec sa reine, lorsqu’il vit des papillons, une femelle demanda à un mâle de prendre la nourriture. Le mâle lui répondit que chacun doit en prendre pour soi. La femelle répliqua que son ventre l’en empêchait. Le roi éclata de rire. La reine lui demanda :
– O roi, pourquoi riez-vous ?
Le roi garda le silence.
Une autre fois, le roi assis près de sa reine, vit deux papillons cotoyaient le long du mur, se disputaient et tombaient tous deux à terre en se battant. Le roi de nouveau s’éclata de rire. La reine lui demanda :
– Pour quelle raison riez-vous ?
Il en fut ainsi trois fois, et le roi répondit toujours :
– Je ne peux pas vous le dire
La reine lui déclara alors :
– O roi, si vous ne me le dites pas, je me tuerai .
Le roi lui répondit :
– Attendez mon retour de promenade et je vous dévoilerai tout.
Le roi est parti se promener, sur sa route il rencontra un troupeau de en train de traverser la rivière.
(Le roi-dragon produisit par transformation un troupeau de plusieurs centaines de moutons traversant une rivière).
Une brebis pleine appela son mouton :
– Revenez me chercher
Le mouton répondit :
– Je ne sais pas vous faire traverser la rivière.
La brebis reprit :
– Si vous ne me faites pas traverser, je me tuerais. Ne voyez vous pas que le roi du royaume risque sa vie pour sa femme ?
Le mouton lui répondit :
– Ce roi est bien sot de mourir pour sa femme. Vous pouvez bien mourir, serait-ce à dire qu’il n’existe plus de brebis ?
Le roi, l’ayant entendu, fit cette réflexion ;: “Tout roi que je suis, je ne possède même pas la sagesse d’un bélier”.
Lorsqu’il fut de retour, sa reine lui répéta :
– Si vous ne m’expliquez pourquoi vous avez ri, je me tuerais.
Le roi lui répliqua :
– Libre à vous de vous tuer, ce sera fort bien, j’ai dans le harem beaucoup d’épouses, qu’ai-je besoin de vous ?

Le Maître dit : “Bien sot est l’homme qui se résigne à mourir à cause d’une femme”.

Version vietnamienne

Nguyên Van Tô nous présente une autre version fortement vietnamisée du Kharaputta-Jâtaka : La crête blanche des oies :
“A Son Tay (Vietnam du Nord), il y avait un chasseur qui passait souvent devant un repaire où vivait un couple de serpents.
Un jour, il vit la femelle changer de peau, le mâle la soignait, veillait sur elle et la nourrissait. Une autre fois, il vit le mâle qui muait mais la femelle au lieu de rester à le soigner, allait flirter avec un autre mâle.
Le chasseur, indigné de sa conduite, banda son arc et la tua.
Or, le mâle ayant repris ses formes et ne voyant pas la femelle, alla à sa recherche. Il l’a trouva morte dans la forêt percée d’une flèche, il l’a reconnut, aussitôt il rampas vers la maison du chasseur afin venger la mort de sa femelle.
Sur la toiture de sa maison, le serpent guette le chasseur quand soudain il l’entendit parler à sa femme :
– J’ai assisté aujourd’hui, au cours de ma partie de chasse une scène assez tragique. Un couple de serpent dans leur repaire… et il lui raconte l’histoire. Le serpent guettant sur le toit, entendit ces paroles, constata que sa femelle fut punie à juste titre, s’en alla sans tirer vengeance. Quelques jours après, il vint offrir au chasseur une pierre précieuse en signe de reconnaissance. En possession de cette pierre, le chasseur pouvait comprendre le langage de tous les animaux.
Un jour, il rendit visite à un ami qui habitait plus loin, cet ami l’invita à rester quelques jours chez lui puis il s’adressa à sa femme :
– Nous avons un couple d’oies et ses trois petits. Demain il faudra tuer la femelle pour fêter notre hôte.
La nuit venue, le chasseur entendit l’oie gémir en faisant des recommandations à son mâle :
– Demain matin le maître va me tuer pour fêter son hôte, tu prendras soin de nos petits n’est ce pas ?
Le lendemain, le chasseur se leva tôt et dit à son ami :
– Vous me donnerez du riz avec des légumes de votre jardin cela me suffira amplement, après je rentrerai chez moi, ne tuez pas votre oie.
Le chasseur mourut peu de temps après, et toutes les oies portèrent le deuil : elles eurent depuis ce jour, une crête blanche sur la tête”.

Mais il semble que cette version vietnamienne est amputée d’un épisode, et Landes nous présente un autre dénouement :

“Une fois en possession de cette pierre précieuse, l’homme pouvait comprendre le langage des oiseaux, des fourmis, et de toutes autres espèces d’animaux. Mais il n’osa pas dire à sa femme au risque de la voir disparaître.
Un jour, la femme allant s’accroupir dans un coin du jardin (pour faire son petit besoin), le mari entendit les fournis s’écrier :
– Inondation ! Inondation ! Cherchons de la hauteur pour nous mettre au sec.
Le chasseur se mit à rire, sa femme fut tellement offensée qu’elle en mourut. Le chasseur très affligé de la mort de sa femme, s’en alla chercher du réconfort chez un ami…”.

Des trois versions, celle de la Chine mettant en relief un enseignement moral du Bouddha, est la plus proche du Kharaputta-Jâtaka original : celle du Laos en est une vivante adaptation qui se termine en comédie : “le laboureur finit par rosser sa femme qui se rendit” ; tandis que la version vietnamienne reprend en partie le thème “l’homme qui comprend le langage des bêtes”, non pour prouver que “bien sot est l’homme qui qui se résigne à mourir à cause d’une femme”, comme l’a dit le Maître dans le Jâtaka, mais pour expliquer pourquoi “les oies ont aujourd’hui une crête blanche sur la tête”, et aussi pour retrouver une conception orthodoxe du bouddhisme : l’existence dans l’univers d’un nombre incalculable de mondes dont fait partie le monde terrestre des hommes. La disproportion inimaginable des choses, la contradiction des situations (infime et vulgaire dans le monde des hommes, mais grandiose et tragique dans ce lui des fourmis), ont provoqué aussi le comique du récit qui ne tarde pas toutefois à terminer par un dénouement tragique ” la femme fut tellement offensée qu’elle en mourut”.

Pour mieux comprendre les traditions orale et écrite, les us et coutumes des peuples de l’Asie du Sud-Est, on ne peut donc ignorer les Jâtaka.
Un savant spécialiste des inscriptions birmanes, Luce a écrit qu’en Bermanie, les Jâtaka sont à la source de la moitié de la littérature et de l’art. On pourrait affirmer sans beaucoup se tromper qu’ils occupent la même place dans les autres pays de l’Indochine bouddhique.

Võ Thu Tịnh

1er tirage dans le NOUVEL ESPOIR No 43, Paris 1979
et dans SUDEST ASIE, Nos 21, 22, 23, Paris 1982
2ème tirage à part et refondu, Ed. PRESENCE INDOCHINOIS, Paris 1987

Published in: on January 27, 2007 at 3:30 am  Comments (12)  

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